Sortir de la dissociation : ce que dit la neurobiologie
- Helene Coudercy
- 9 avr.
- 4 min de lecture
Vous avez peut-être suivi mes chroniques sur la dissociation et senti que quelque chose résonnait. Ou au contraire, vous ne ressentez rien du tout. Ni émotions, ni sensations corporelles. C’est précisément le cœur du sujet.

Nous sommes tous dissociés, à des degrés divers.
Quand le corps se coupe pour nous protéger
La dissociation est un mécanisme de survie. Une réponse adaptative du corps quand le stress ou l’anxiété devient trop intense ou trop prolongé. Plutôt que de lutter ou fuir, le système nerveux choisit une troisième voie : se figer. C’est ce qu’on appelle en neurobiologie une activation du nerf vague dorsal (le plus ancien sur le plan évolutif).
Résultat ? Le rythme cardiaque ralentit, le tonus musculaire chute, la conscience se brouille. On peut se sentir « en pilote automatique », comme si on regardait sa vie à travers une vitre.
Ce que la neurobiologie nous apprend
Lors d’un stress chronique ou d’un trauma, le cerveau libère des opioïdes endogènes (endorphines, enképhalines) pour anesthésier la douleur. C’est comparable à une injection de morphine : ça protège, mais ça coupe.
En parallèle, le glutamate, un neurotransmetteur clé pour la mémoire et la perception, se dérègle. Cela perturbe la capacité à intégrer l’expérience dans le présent. C’est ainsi que certaines connexions s’éteignent.
La dissociation est aussi l’une des premières sources d’anxiété chronique.
Quand le corps n’a pas pu aller au bout d’une réponse de survie, il reste comme “en attente” dans le système nerveux. Le mental ne comprend pas toujours ce signal flou, mais le corps, lui, reste en vigilance. C’est cette alerte de fond, sans objet clair, que nous appelons souvent “anxiété”.
Sur le moment, c’est une bénédiction. À long terme, cela devient une prison. Car ce que le cerveau évite, le corps s’en souvient : douleurs inexpliquées, fatigue chronique, dérèglements digestifs ou hormonaux, anxiété persistante, port d'un masque et perte d'authenticité, relations évitantes/chaotiques/anxieuses…Dans certains cas, la dissociation prolongée peut aussi entraîner des oublis fréquents, une baisse de vigilance, voire augmenter le risque d’accidents ou de dérèglements neurobiologiques, si elle n’est pas prise en charge.
Pourquoi on ne peut pas « penser » sa sortie de la dissociation?
Le langage du système nerveux, ce sont les sensations. Pas les mots. Pas les explications. Pas la volonté.
Une information sensorielle claire – comme une odeur, une texture, une lumière douce, une respiration lente – a bien plus de pouvoir régulateur qu’un discours intérieur ou une injonction mentale.
Tant que le système nerveux ne perçoit pas de sécurité à travers une expérience physique, il reste en mode protection.
L’odorat : une porte d’entrée directe vers le cerveau
Contrairement aux autres sens, l’odorat contourne le cortex rationnel. Il dialogue directement avec le système limbique, berceau des émotions et de la mémoire. Une odeur ne se pense pas. Elle se ressent.
Une odeur peut :
réactiver une sensation corporelle oubliée
réveiller une émotion enfouie
créer une nouvelle association positive et sécurisante
C’est exactement le cœur de ma méthode P.O.S.E. (Processus Olfactif de Sensibilité Évolutive) : utiliser les odeurs pour restaurer la connexion au corps et réguler le système nerveux.
Quelques signes de dissociation (légère, modérée ou intense)
Dissociation légère (la plus répandue) :
Difficulté à ressentir ses émotions en temps réel
Tendance à vivre « dans la tête » (ruminations, analyse constante)
Sensation de fatigue malgré le repos
Présence flottante, difficulté à rester ancré dans le moment
Dissociation modérée :
Anesthésie émotionnelle fréquente (vous savez ce que vous ressentez, mais ne le ressentez pas vraiment)
Perte d’élan vital, démotivation, sentiment de vide
Hyperréactivité émotionnelle ou physique sans cause apparente
Troubles du sommeil, douleurs chroniques inexpliquées
Dissociation intense :
Sensation de ne pas être dans son corps, dépersonnalisation
Troubles cognitifs (trous de mémoire, confusion, temps flou)
Hypervigilance constante ou au contraire effondrement physique/émotionnel
Symptômes corporels persistants (crises, maladies auto-immunes, effondrements nerveux)
À retenir :
Une dissociation légère concerne pratiquement tout le monde, surtout dans nos sociétés ultra-stimulées.
Une dissociation modérée nécessite souvent un accompagnement thérapeutique.
Une dissociation intense demande un suivi spécifique, en particulier par un professionnel formé aux traumas (ou trauma-informé)
Plus c’est pris en charge tôt, plus le chemin de retour au corps est fluide. Plus on attend, plus les stratégies de survie s’ancrent, mais il n’est jamais trop tard.
Comment amorcer un retour au corps ?
En fait, chacun est différent et il n’y a pas d'exercices universels. En neurobiologie, les principes sont les suivants:
Activer le nerf vague ventral (techniques bilatérales, tapping, respiration, voix, odorat, liens sécures… tout ce qui permet de ressentir physiquement un état de sécurité intérieure.
Ramener du mouvement et du contact corporel : auto-massages, marche consciente, eau froide, toucher, bercement… pour remettre le corps en circulation et sortir de l’immobilité.
Stimuler les sens pour revenir dans l’ici et maintenant : lumière naturelle, odeurs, textures, musique, sons binauraux… tout ce qui ancre dans une expérience sensorielle présente.
Petit à petit, le système nerveux apprend à revenir à un état de sécurité. Le mieux reste de se faire accompagner par un psychothérapeute formé à la Somatic Experiencing, et trauma-informé. Il est indispensable d’être en face d’un praticien qui a lui-même exploré sa propre dissociation, qui comprend les réponses du système nerveux et qui respecte le rythme du corps et le besoin de sécurité avant tout.
⚠️ Si un thérapeute tente de forcer, d'aller trop vite ou de passer en force… stoppez. Ce n’est pas vous qui êtes “résistant”, c’est peut-être le cadre qui n’est pas encore assez sécure.
La dissociation n’est pas une fatalité. C’est une stratégie intelligente du corps, qui peut être réajustée par des moyens concrets, sensoriels, doux et profonds.
Sources :
Peter Levine (Somatic Experiencing)
Deb Dana (Théorie Polyvagale appliquée)
Stephen Porges (Théorie Polyvagale)
Janina Fisher (parts dissociées et trauma)
Pat Ogden (Psychothérapie Sensori-Motrice)
Gabor Maté (corps et trauma)
Aimie Apigian (trauma et régulation autonome)
Joe Dispenza (neuroplasticité et transformation)
IFS – Internal Family Systems (parts protectrices)
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